« Si tout apprentissage consiste à passer de zéro à dix, alors la partie la plus importante est de passer de zéro à un. » Monty Roberts (2001)

Pour moi, une des surprises persistantes de l’entretien motivationnel est d’observer qu’une intervention relativement faible peut produire un effet important sur le comportement (Miller, 2000). L’impact moyen de l’EM sur le comportement est significatif, mais modeste – les méta-analyses l’établissent entre 0,4 et 0,6 ; ce qui est entre les deux et trois cinquièmes d’un écart-type (Hettema, Steele & Miller, 2005). Les réponses individuelles se répartissent bien évidemment autour de l’effet moyen, même pour le plus habile des intervenants en EM. Ce qui m’intéresse ici, c’est le segment le plus haut de cette distribution : ces personnes qui présentent un changement conséquent après une exposition relativement brève à l’EM. Y’a-t-il quelque chose chez ces personnes qui les préparent à répondre si favorablement à l’EM ?

Le premier candidat auquel je pense est la personne pour qui le principal obstacle au changement est véritablement l’ambivalence. Dans le modèle transthéorique du changement (Prochaska, 1994), ces personnes seraient au stade de l’intention. Ils ont déjà réfléchi au changement et ont un bon mélange de pour et de contre. Ils ont des ressources personnelles le permettant de réussir leur changement s’ils le réalisent. Ils n’ont seulement pas encore pris leur décision. Un conseil orienté vers l’action ou cherchant à être persuasif pourrait susciter de la résistance, alors qu’une approche centrée sur l’évocation de la motivation et de la responsabilité personnelles serait plus favorable. Pour ces personnes, si l’EM peut leur faire franchir le cap de la décision, un changement conséquent suivra. Au contraire, pour des personnes qui seraient déjà prêtes à changer, on peut s’attendre à un bénéfice faible des entretiens motivationnels.

Dans d’autres situations, l’EM peut bénéficier d’un effet de contraste. Un discours centré sur le client provenant d’une unique personne peut avoir un impact substantiel quand toutes les autres voix punissent, contrôlent, parlent de honte ou blâment. Dans un essai clinique, une session unique d’EM était offerte ou non, de manière aléatoire, à l’admission dans un programme résidentiel de traitement de l’abus de substance, programme s’appuyant sur une approche didactique et confrontante. Une session d’EM pourrait-elle avoir le moindre effet dans un tel contexte à contre-courant ? En fait, le maintien de l’abstinence trois mois après la sortie était double dans le groupe EM (57%) comparé à ceux qui avaient suivi le même programme sans EM (29%) (Brown & Miller, 1993). Au cours de l’étude Magdalena de Carolina Yahne auprès de femmes prostituées (Yahne, Miller, Irvin-Vitela, & Tonigan, 2002), Yahne a été surprise de constater que 25 des 27 participantes avaient pris l’initiative de revenir pour l’entretien de suivi à 4 mois. L’indemnisation étant modeste, elle leur a demandé pourquoi elles étaient venues. La réponse typique était « parce que vous m’avez écouté et ne m’avez pas qualifié de pute ». Quelqu’un intéressé par les propres perceptions et sentiments du client peut donc réellement apparaître comme un oasis au milieu du désert. Je me demande si ceci ne contribuerait pas à expliquer pourquoi l’EM semble montrer des effets plus important auprès des minorités qui ont historiquement souffert d’abus et de domination sur plusieurs générations (Hettema et al., 2005).
Une réponse significativement plus importante dans un groupe signifie, bien sûr, qu’il y a d’autres groupes pour lesquels la réponse est moindre. Si l’effet d’un contraste d’humanité contribue en partie à l’existence d’une réponse marquée à l’EM, ceci suggérerait une réponse moindre pour des individus et des populations « plus privilégiés ».

Dans toute situation, je pense qu’il y a plus à apprendre de ceux qui réagissent le mieux à l’EM. La question la plus répandue est souvent « pour qui l’EM ne marche-t-il pas ? ». C’est une question pertinente, mais je crois que cela vaudrait la peine de consacrer des études qualitatives à ceux qui se situent sur la partie haute de la courbe des réponses.

La même question s’applique à la formation. En moyenne, les personnes bénéficiant d’une session en EM de 2 jours ne montrent pas une augmentation importante de leur compétence. Certaines, pourtant, présentent des gains évidents et significatifs dans leur savoir-faire en EM. […] J’ai observé que certaines personnes « comprenaient le truc » tout simplement quand elles étaient exposées à l’EM, quelque chose comme un changement de perception advenait. Pour certains, cela peut être simplement la permission d’être aimable et bienveillant alors que leur formation et le contexte les en éloignent. Pour d’autres qui avaient été formé au counseling centré sur le client, cela peut être de réaliser qu’il est possible de le faire avec leurs populations.
Dans chacune de ces situations, il semble y avoir une sorte d’expérience du type « mais bien sûr! » quand certains lisent le livre ou participent à une première formation. C’est comme s’ils reconnaissaient l’approche et son esprit sous-jacent et l’intégraient naturellement. Je ne sais pas si cela arrive souvent dans les formations en EM, mais mon sentiment est que cela n’est pas rare. Beaucoup m’ont dit au cours des années : « Vous avez changé ma vie, transformé la manière dont je travaille avec les gens ». Généralement, ils ne parlent pas de moi personnellement : beaucoup d’entre eux me disent cela à la première rencontre, après avoir lu le livre sur l’EM ou reçu une formation. C’était la rencontre avec les idées et l’esprit de l’EM qui était « transformant ». Je suis sûr que d’autres formateurs en EM ont eu des expériences similaires.

Mais j’entends déjà mes amis formateurs européens m’inviter à descendre de mon piédestal. Oui, ce sont des exceptions, et mes propres recherches montrent que la plupart des personnes participant à des ateliers de deux jours avec moi ne réalisent pas des gains importants dans leur niveau de compétences en EM. Pour certains, c’était parce qu’ils se présentaient à la formation avec déjà des bonnes compétences en EM. Pour d’autres, je crois vraiment que le premier contact avec l’EM les a conduit à passer de zéro à un, que c’est un grand changement perceptuel. Peut-être que c’est simplement de voir de ses propres yeux que c’est possible, qu’il y a une manière d’inspirer le changement plutôt que de le l’arracher. Cela a été ma réaction immédiate quand j’ai vu pour la première fois le travail de Monty Roberts, le fait que la méthode violente traditionnelle pour « casser » les chevaux n’était pas la seule méthode, que ce n’était même pas nécessaire. Qu’il y avait un meilleur moyen. Déclic. De zéro à un.

Ce texte a été publié dans sa version originale dans le Mint Bulletin (2007), 13 (3). Adaption en langue française par Emeric Languérand.

Références bibliographiques