Philippe Michaud et Dorothée Lécallier, traducteurs du dernier ouvrage de référence sur l’entretien motivationnel, ont posé une simple question à Bill Miller, qui a créé l’EM et est co-auteur de ce manuel avec Steve Rollnick :

Quelles sont selon vous les principales évolutions dans votre conception de l’EM entre 2003 (première traduction française, deuxième édition américaine) et 2013 (deuxième traduction française, troisième édition américaine) ? Voici sa réponse.

William R. MillerLe cœur de l’EM est demeuré identique de son commencement jusqu’à sa forme actuelle. Vous connaissez sans doute cette vieille histoire d’hommes aveugles qui palpent un éléphant et qui tentent de le décrire. L’un pense que c’est comme un mur, le deuxième comme un arbre, le troisième comme un serpent, et ainsi de suite. Ce qui a changé, c’est que ces trente dernières années nous avons tellement tourné autour de l’éléphant que nous en avons maintenant une meilleure représentation, et que nous avons progressé dans sa description. Mais l’éléphant est resté le même.

Voici quelques-uns des changements que je considère comme les plus importants dans notre compréhension de l’EM, telle qu’ils se reflètent dans la troisième édition :

  • Nous avons vite compris que considérer l’EM comme une technique est une erreur. Carl Rogers a eu la même expérience. Quand on le regarde comme une technique, alors cela devient quelque chose qu’on fait sur les gens, un peu comme un truc pour conduire les gens à faire ce que vous souhaitez qu’ils fassent. L’état d’esprit et « l’état de cœur » sous-jacents, l’ « esprit de l’EM » est fondamental, et nous le décrivons maintenant dans ses quatre composantes : Partenariat (Partnership), Non-jugement (Acceptance), Altruisme (Compassion) et Évocation (Evocation). En utilisant le latin, PACE (en paix) est un bon acronyme de ces termes anglais.
  • Nous avons senti rapidement que l’ambivalence est simplement une composante de l’esprit humain, et que l’EM n’est donc pas limité au champ de l’addiction où il est apparu. Steve a commencé à l’introduire dans le champ des soins, et puis l’EM a diffusé dans de nombreux et variés autres champs. L’ambivalence n’est pas un phénomène pathologique : elle fait partie de la condition humaine.
  • Nous avions commencé à décrire l’EM à travers un certain nombre de « principes » généraux (cinq dans la première édition [américaine, NDT], quatre dans la seconde), mais nous avons décidé que ces « principes » étaient trop décontextualisés. Il est trop facile d’écrire les principes au tableau noir et de décider que du coup on a compris. Nous avons donc renoncé à ces principes désincarnés pour utiliser maintenant les quatre processus comme moyen de conceptualiser l’EM.
  • Nous avons d’abord décrit l’EM comme « directif » mais ce terme était trop souvent mal compris et ramené au rôle de l’expert. Cependant il y a une direction (un focus) dans l’EM, et peut-être « directionnel » est une meilleure façon de l’exprimer.

« […] ces trente dernières années, nous avons tellement tourné autour de l’éléphant que nous en avons maintenant une meilleure représentation, et que nous avons progressé dans sa description. Mais l’éléphant est resté le même. »

  • Nous sommes plus clairs, je pense, quant à ce qui différencie l’EM de l’approche centrée sur la personne de Carl Rogers, laquelle reste une fondation solide de l’EM, contenue dans le processus que nous avons appelé l’engagement dans la relation (engaging). Les processus de focalisation et d’évocation vont au-delà de l’approche originelle, non-directive, de Rogers, et l’évocation est la seule qui soit caractéristique de l’EM.
  • Cela nous a aidé aussi à différencier « conseiller avec neutralité » (quand l’intervenant choisit de NE PAS influencer la direction du choix) et l’EM, où l’intervenant suscite de façon stratégique le mouvement d’évocation dans la direction du changement (habituellement parce que c’est le client qui l’a demandé). De façon paradoxale, apprendre à focaliser nous aide aussi à comprendre comment maintenir au mieux la neutralité.
  • Les travaux de Paul Amrhein nous ont appris beaucoup au sujet du discours-changement, et tout ce qui concerne ses catégories (besoin, raisons, désir, capacité, engagement, premiers pas…) a émergé après l’édition de 2003.
  • Nous avions utilisé le concept de « résistance » dans nos deux premières éditions, quoique nous fussions mal à l’aise avec ce terme qui semblait faire référence à une donnée inhérente au client. La résistance est un processus relationnel. La rupture pour nous a été lorsque Theresa Moyers nous a aidés à réaliser que la plus grande part de ce que nous nommions « résistance » était du discours-maintien, qui est juste un des versants de l’ambivalence. Quand on écoute une personne ambivalente, on entend à la fois du discours-changement et du discours-maintien. Il n’y a rien de pathologique en cela. Ce qui reste de la « résistance », nous le nommons maintenant « dissonance », des signaux de tension dans la relation. Et bien que nous ayons eu un faible pour l’allitération « roll with resistance », nous avons laissé tomber (ou au moins redéfini) le concept de résistance.
  • Nous avons élargi notre conception du changement dans le sens où nous ne le limitons pas au changement de comportement. Il y a d’importants processus de changement qui n’implique pas le comportement au sens habituel du terme. Le pardon, l’acceptation en sont deux exemples, et l’EM peut aussi être utilisé pour aider des personnes confrontées à ces changements.
  • Notre vision a aussi changé sur l’ « enseignement » de l’EM. Nous avons commencé avec le modèle du séminaire : venez à cet atelier et vous en sortirez sachant comment pratiquer l’EM. J’ai pu montrer que cela ne marchait pas – au moins quand c’est moi qui menais l’atelier – et nous avons commencé à nous demander pourquoi nous avions eu un jour l’idée que participer à une classe pouvait changer le comportement. Nous regardons maintenant l’EM comme un ensemble complexe de savoir-faire, un peu comme pratiquer un instrument de musique ou un sport, qu’on apprend à travers le temps et la pratique, idéalement avec du feedback et de la supervision.

Bill Miller